Le photographe est un hexagone

"L'artiste-reporter exige tout de lui. 
Il ne s'agit pas seulement d'un faiseur d'images. Il est en réalité un peu tout à la fois : observateur, biographe, dessinateur, journaliste, poète et romancier. Il est cet hexagone souverain insatiable de curiosité, continuellement tiraillé par la recherche de constance, de qualité et d'efficacité dans ses observations, comme la France ayant vu naître beaucoup de pionniers de la photographie. Passionné éternel de sa discipline et prisonnier de l'image, il lui faut aimer toujours pour demeurer audacieux, authentique et impliqué ; ceci malgré tous les risques de produire quelques œuvres pouvant paraître maladroites ou mal comprises. En s'efforçant d'être lui-même en surpassant le jugement des autres par sa résistance propre à la diabolique tentation de faire ressembler ses œuvres à quelqu'un d'autre, il écrit peu à peu le livre de sa vie, un livre absolument unique parmi tant d'autres, un livre de témoignages avec lequel son plus terrible détracteur se devra de composer tel le sillon constant et bien droit d'une pensée véritable. Mieux que quiconque, il est à même de ressentir profondément le bien-fondé d'un cliché. C'est de ce travail continuel de l'intelligence et du cœur d'une incontournable constance dont il tirera sa puissance d'auteur. 
Aux prises avec des instants fugitifs où les rapports sont mouvants, sa qualité de compositeur s'impose progressivement au fur et à mesure où il accepte d'écouter son intuition au bon milieu de la mare de probabilités dans lequel il est plongé. Comme la morue, c'est en multipliant les tentatives comme des œufs qu'il augmente la probabilité de l'éclosion d'oeuvres remarquables. L'efficacité vient ensuite par la conjugaison de spontanéité et de simplicité dans l'action. Libéré du poids écrasant de la traumatisante expérience du syndrome de l'accumulation de matériel, il simplifie à l'extrême son instrument d'expression afin de magnifier ce qui reste en lui de la réceptivité de l'enfant qui regarde le monde pour la première fois. L'appareil photo, simple, léger, discret, silencieux, très aisément transportable, se limitant dorénavant à une focale unique, il se fait oublier à l'égal d'un carnet de croquis pour que, à la moindre émotion, au moindre choc, concentration, sensibilité et sens de la géométrie puissent être les seuls guides de cet instant durant lequel l'artiste est réellement créatif. Après tant de déclenchements pour « signifier » le monde, il réalise en art comme en amour que l'instinct suffit et que pour sacrer le tout, la simplicité est la réussite absolue telle une récompense venant couronner l'art."